samedi 24 mai 2014

1476. Ep6. Eté indien.




L’été en la cour de France avait été réjouissant et distrayant pour les membres de la cour ducale. François II était quand même inquiet pour son héritier. Jean VI n’avait pas fait bonne impression sur la noblesse française. Perçu comme un original amoureux des arts et des lettres, il s’était trop absorbé dans les trésors italiens ramenés par Michel Landais. Les Français avait pris cela pour du dédain. Seuls Louis XI, Anne et Pierre de Beaujeu avaient apprécié son jeune enthousiasme et sa conversation. Louis XI l’avait même complimenté sur ses connaissances politiques et sa compréhension des puissances européennes. Le roi avait secrètement engagé son chambellan Philippe de Commynes à trouver un parti français pour Jean VI. Renforcer les liens avec la Bretagne restait une des priorités royales et Jean VI était une cible toute trouvée pour renforcer l’influence française dans le duché breton. Alors que tous s’amusaient, le Duc et le Roi tinrent quelques conseils discrets. Le duc fit part de ses inquiétudes sur l’absence d’enregistrement du traité interdisant l'ingérence du parlement de Paris en ses affaires et obtint le payement des derniers arriérés de soldes de ses mercenaires. Tout de velours, le roi promit d’accentuer sa pression sur les parlementaires parisiens et offrit son appui diplomatique pour le mariage de Jean VI. Le duc remercia du bout des lèvres et prit congé. Il voulait rentrer en Bretagne pour présider ses Etats et attendre son second héritier. Enceinte de quatre mois, Gabrielle, la duchesse souhaitait retrouver le calme de sa cour nantaise. La caravane ducale atteignit lors des dernières chaleurs d’aout l’estuaire de la Loire et se vit offrir une entrée par la populace. Le duc exhiba les trésors italiens ramenés par Michel Landais et parcourut les rues avec son fils dont la santé et la curiosité ravirent le petit peuple.
La Porte-Prison à Vannes.
Les Etats de Bretagne de septembre 1476 se tinrent à Vannes et ne furent pas de tous repos. Si Pierre Landais proposa et obtint de l’assemblée l’uniformisation des poids et mesures dans l’ensemble du duché, l’inattendu se manifesta par l’intervention conjointe de deux des Etats. Dans une alliance sans précédent, La noblesse et la bourgeoisie demandèrent la mise en place de foire dans les villes du duché. Si François II réaffirma le droit de toutes ses villes à posséder un marché hebdomadaire, charge à elle d’en assurer la sécurité, il ne conféra qu’aux villes de Nantes, Rennes, Vannes, Carhaix et Morlaix le droit de foire car cela allait lui couter. Il faisait là un pari sur l’avenir commercial du duché. Contre le paiement d’un sauf-conduit, le Duc dut s’engager personnellement à assurer la sécurité des marchands se rendant à ses rassemblements et il dut aussi les exonérer des péages les plus onéreux. En contrepartie, François II se réserva le bénéfice des inscriptions, somme dont le revenu devait financer les gardes qu’il affecterait aux escortes et aux foires. Enfin, il imposa que les bretons aient un tarif préférentiel sur les étrangers. Nantes, Rennes et Vannes obtinrent deux foires annuelles tandis que le duc n'accorda qu’une foire d’été aux deux autres cités. Selon les historiens, les Etats de 1476 établirent un double précédent : Premièrement, Bourgeoisie et Noblesse s’allièrent et parlèrent d’une seule voix. En effet, la régularité de réunions des Etats depuis 1464 avait permis à ces membres d’établir des liens durables et d’échanger idées et connaissances. Il émergea donc des groupes d’influence suffisamment puissants pour peser sur les autres membres de l’assemblée. Deuxièmement, si la nature de la  doléance souligne l’importance grandissante de l’activité commerciale dans les classes urbaines et nobiliaires bretonnes, elle montre surtout le rôle croissant des Etats comme intermédiaire entre les élites sociales et le pouvoir ducal. 
La Foire de Nantes gravure du XIXè siècle.

Enfin, sur les conseils de son chancelier vieillissant Guillaume Chauvin, le duc demanda aux députés de ses états de fournir un effort administratif sans précédent. Par souci de bonne justice, il avait ordonné la compilation des coutumes de Bretagne par ses officiers dans le but d’harmoniser les pratiques judiciaires et appelaient donc les membres les plus illustres de son duché à coopérer pleinement pour faciliter le bon déroulement de cette opération. Les membres des trois ordres réagirent favorablement à cette demande et promirent leur pleine et entière coopération dans une suite de discours ampoulés et interminables qui clôturèrent les Etats. François II regagna Nantes fort heureux de voir ses sujets aller de l’avant.

dimanche 18 mai 2014

1476. Ep5. Où tout change.



Charles le Téméraire, hiver 1476. Partie du dernier portrait fait en la ville de Malines.

Charles le Téméraire atteignit la capitale lorraine au début de l’été. Dés son arrivée, il reçut les échevins pour obtenir la reddition de la ville. Pendant deux heures, il tempêta et menaça les notables de la cité montrant à tous que ses précédents échecs à Neuss, Grandson et Morat avaient renforcés son impatience et son intransigeance. Le visage rouge de colère du duc ne faisait plus le même effet que trois ans plus tôt. Son prestige, son armée et sa fortune avaient disparus au-delà du Juras dans les poches des Suisses. Charles s’était entêté  pour remonter une armée. Engageant le tout venant, vidant les prisons, ses navires et les rues mal famées de ses états, il avait rassemblé 10000 hommes inexpérimentés, mal armés et indisciplinés. Si Charles voyait en eux les dignes descendants de ses flamboyantes compagnies d’ordonnance, ses capitaines désespéraient de cette racaille incapable, juste bonne à piller, violer et détruire les territoires lorrains. Sans artillerie, son armée qui avait peinée à atteindre Nancy en bon ordre, comptait sur le temps pour obtenir la reddition de la ville et sur les moissons pour se réapprovisionner. Echevins et Officiers de Nancy comprirent vite que ce siège tournerait en leur faveur. La garnison était forte, approvisionnée et déterminée. L’encerclement n’était qu’imparfait et leur duc s’activait pour leur porter secours. En effet, à Strasbourg, René de Lorraine rassemblait une armée d’Alsaciens et de Suisses tandis qu’il lançait ses mercenaires bretons sur les arrières du Téméraire. Pierre du Pont-l’Abbé, s’en prit tout l’été aux fourrageurs de Bourgogne et réussit à deux reprises à détourner vers Nancy des convois bourguignons capturés. Rapidement, la situation de Charles se détériora. En raison des escarmouches et de la promiscuité, le nombre de blessés et de malades augmentait chaque jour tandis que l’argent et le ravitaillement se faisaient rares si bien que les désertions se multiplièrent. A la fin aout, Charles n’avait plus que six milles hommes tandis que René passait les Vosges à la tête d’une armée de 14000 professionnels en majorité bretons, suisses et alsaciens.



Les historiens de la période accordent aujourd’hui entre 4000 et 5000 hommes à l’armée du Téméraire quand il rangea son armée en bataille le 5 septembre. Au nord, il s’appuyait sur une forêt tandis qu’au sud un marais protégeait son flanc. Charles attendait l’assaut des Suisses et plaça en réserve ses dernières compagnies d’ordonnance. Lorsqu’il découvrit ce dispositif, René et ses capitaines décidèrent de reprendre la recette de Morat : une attaque de flanc à travers les bois et une diversion face à la position bourguignonne. Une nouvelle fois, ce plan marcha parfaitement et le moral des défenseurs s’écroula rapidement. Sentant ses troupes vacillées sous la pression des Suisses, Charles décida de jouer le tout pour le tout et il chargea à la tête de ses gendarmes d’ordonnance. Mal lui en prit. Ce qui n’était arrivé ni à Morat, ni à Grandson arriva ce jour-là. Le duc fut jeté à bas de son cheval par les Suisses qui ne lui firent point quartier. Sa mort déclencha la panique et les Bourguignons fuirent vers le Sud, vers le marais où Suisses, Bretons, Alsaciens et Lorrains firent grand massacre des piétons du Téméraire. Le soir même, Nancy feta son duc.

René de Lorraine et Pierre de Pont L'Abbé constatent la mort du Téméraire dont le cadavre a été dépouillé par les mercenaires suisses.

Dés la mi-septembre, René était redevenu maître en son duché. Contrat rempli, Pierre du Pont l’Abbé et les Bretons prirent le chemin de l'ouest, bourses pleines de pillages et des derniers deniers du Duc de Lorraine. La nouvelle de la mort de Charles le Téméraire se répandit à la vitesse d'un cheval au galop dans toute l’Europe. Le Grand Duc d’Occident n’était plus. A Tours, Louis XI sauta et dansa de joie à la grande surprise de Philippe de Commynes. A Londres, Edouard IV s’inquiéta de la perte d'un allié. A Vienne, l'Empereur convoqua ses diplomates et son fils Maximilien tandis qu’à Gand, Marie, Duchesse de Bourgogne de 18 ans, se désespérait. Sans armée, sans argent, la Bourgogne était bonne à prendre.