vendredi 25 octobre 2013

1476. Ep4. Bretons en la cour de France

Le long de la Loire, les cortèges de nobles progressaient lentement dans la chaleur de l’été. S’ils étaient habituels dans cette région, leur nombre frappa cette année-là les esprits du val. De l’est venaient la famille des Bourbons et ses clients tandis que l’ouest du royaume et le duché de Bretagne fournissaient maintes maisonnées aux caravanes luxueuses. Parmi les fastueuses compagnies provenant de Lyon, chevauchait Michel Landais à la tête d’une procession de mules et de mulets chargés de lourds ballots de toiles. Ce défilé était escorté par un groupe de mercenaires issus des bandes de Pierre du Pont-l’Abbé. Il devait rejoindre son duc et son père en la cour de France et rentrer en Bretagne dans la troupe ducale. A la St  Jean, cette dernière s’était arrêtée à Ancenis, le duc voulant y inspecter les travaux de la forteresse. Jean l’héritier prit schémas et croquis des défenses et du chantier. Cet intérêt pour la poliorcétique rapprocha père et fils qui s’arrêtèrent dans tous les châteaux, forteresses, forts, fortins et maisons fortes jusqu’à Blois. L’état de la duchesse de Bretagne nécessitait ces arrêts. En effet, à Angers, Gabrielle de Bourbon annonça officiellement sa grossesse. Tout à son bonheur, le duc offrit tout au long de son parcours dons et charités mais aussi agapes et banquets aux habitants du Val de Loire. Il dépensa sans compter au grand dam de Pierre Landais. L’arrivée des Bretons à Blois se fit en grand apparat au son des bombardes, des cornemuses et des trompes militaires. De fort bonne humeur, le duc n’en était pas moins déterminé à manifester sa puissance et son rang.
Scène de Tournois 
Louis XI l’attendait. Il avait séjourné à Blois depuis le printemps. Ses intendants y avaient rénové les appartements et rafraichi la décoration du château et de la ville. Aux moissons, tout était prêt. Les lices et les pavillons étaient dressés dans les prés fraîchement moissonnés au bord du fleuve. La suite du duc s’y installa tandis que celui-ci résidait dans des appartements que lui avait réservés le roi. Aucun monarque d’importance n’avait fait le déplacement. Seuls, les grandes familles de France étaient présentes ainsi que quelques grands noms de la noblesse bretonne. Le mariage était une affaire de politique intérieure chargée de renforcer le pouvoir royal, et non d’affirmer la place de la France sur l’échiquier européen. Pourtant, Louis XI y accordait une telle importance qu’elle intriguait la délégation bretonne. Le duc et ses officiers savaient quels étaient les objectifs de louis XI mais ils ne comprenaient pas où le roi voulait en venir. Pierre Landais trouvait que trop d’argent était dépensé pour ce mariage. Anne de France n’épousait pas un fils de roi, mais un baron. L'universelle aragne devait cacher quelque chose.
Juillet se déroula sans encombre malgré les habituelles disputes de préséance et de rang. Bretons et Bourbons tenaient le haut du pavé dans la cour de Louis XI. La grossesse de Gabrielle de Bretagne suscita, dans le clan bourbon, un regain d’intérêt pour le duché et Pierre Landais réussit ainsi à passer quelques accords commerciaux avec la noblesse auvergnate. Si la canicule qui débuta à la mi-juillet rendit les drapiers malheureux, elle offrit d’abondantes opportunités aux marchands de toiles de lin. Lorsque les dames de la cour découvrirent que Gabrielle de Bretagne faisait ample usage du tissu du Léon dans la confection de ses chemises, elles passèrent de nombreuses commandes auprès des marchands accompagnant la troupe ducale. Avant la fin de l’été, la reine de France et ses dames de compagnie vantaient le lin de Bretagne pour sa légèreté et sa fraicheur.
Nobles à la Chasse. 

Mais c’est le jeune Jean qui intrigua le plus les Français. Ils découvrirent rapidement que le jeune duc s’entraînait avec les mercenaires bretons qui assuraient la garde du roi de France et qu’il préférait le champ de manœuvre à la lice du chevalier. S’il faisait preuve du minimum de courtoisie et de solennité nécessaire à la cour de France, la noblesse française considéra rapidement qu’il avait un comportement singulier, inattendu et fort peu respectueux des valeurs chevaleresque. Intéressé par les arts de toutes sortes, l’héritier retrouva pendant son séjour à Blois son mentor Jean de Rohan qui lui laissa l’accès aux manuscrits et aux machineries qu’il avait rassemblé depuis le printemps. Il disparut ainsi pendant de longues heures chaque jour, esquivant maints jeux, chasses et amusements de la cour. L’arrivée de Michel Landais fut une véritable bénédiction pour le jeune Duc. Le jeune marchand revenait d’Italie avec une pleine caravane de nouveautés. Les bats de ses mules déversèrent un trésor de statues, de monnaies, d’amphores antiques, de tableaux italiens, de parchemins byzantins et de traductions latines. La sculpture romaine captiva la noblesse française et ducale. Mais elle laissa froide le jeune héritier de Bretagne. Avec l’aide de son compère de Rohan, il récupéra un inventaire de la caravane de Michel Landais et arracha au jeune commerçant toutes les œuvres écrites grâce à un cassette lourdement garnie. Deux jours plus tard, François II dut personnellement chercher son fils qui n’apparaissait plus aux festivités proposées par le roi de France, ni ne répondait à ses convocations paternelles. Ils eurent une longue conversation sur l’importance de la diplomatie, sur le rôle d’une cour et sur celui d'un jeune héritier. Le jour du mariage, Jean de Bretagne tint son rang de belle manière malgré les craintes de sa belle – mère. Le soir même, il faisait son premier rapport à son père sur les informations qu’il avait glanées. Il lui annonça que le Duc de Bourgogne assiégeait Nancy.

vendredi 4 octobre 2013

1476.Ep3. Printemps pour Mécontents

Les premiers d’entre eux furent les deux jeunes fils de François de Bretagne. Jean VI, le fils légitime, âgé de 13 ans, vit son emploi du temps chamboulé dés l’annonce du mariage Valois-Bourbon. Les dames de compagnie de Gabrielle de Bourbon le kidnappèrent le matin des premiers bourgeons et le conduisirent auprès de la duchesse. La duchesse avait fait débarrasser une salle du château de Nantes pour y installer une cour factice et on avait engagé un maître de danse pour 4 mois de leçons intensives. Ainsi, le jeune jean dut chaque matin pratiquer quatre heures durant l’art de la discussion, celui de la danse et des bonnes manières. Auprès des dames de Gabrielle, il s’essaya à la parole courtoise déclenchant maints fou-rires et de très rares pamoisons. Ayant perdu sa mère tôt, le jeune héritier manquait de raffinement. Avant le remariage du duc, la présence féminine autour de lui était rare et s’était résumé à quelques servantes mal dégrossies et aux femmes de ses maitres ou des membres de la Confrérie. SI, à Clisson, où siégeait la confrérie, ces dames de Bretagne se voulaient les arbitres du bon goût. A la cour ducale, elles paraissaient toutefois bigotes, précieuses et ridicules par rapport aux dames de compagnie de la duchesse. A la cour de France, elles auraient été l’objet des quolibets de toute la noblesse française. Pour Gabrielle, il n’était pas question que son beau-fils subisse ce genre d’insultes, surtout lors du mariage d’un parent avec une fille de France. Elle avait donc insisté auprès du duc pour policer le comportement de l’héritier. Ainsi, en ce printemps 1476, Jean passa les premiers beaux jours à l’apprentissage ardu de l’élégance et à l’essayage fastidieux de son trousseau de cour et de sa tenue de cérémonie. Pourtant, il ne se présentait pas sans arme à la cour de France. Habile aux armes sans être exceptionnel, bon cavalier comme il sied à tout noble, Jean, âgé de 13 ans, possédait une formation atypique pour l’époque. Il suivait régulièrement des leçons données par des maitres de l’Université. Il savait écrire et lire en latin et en français tout en étant capable de tenir une conversation en breton et il s’intéressait en particulier au droit. Son père ne comprenait pas cet engouement pour les connaissances universitaires mais le tolérait tant qu’étaient remplies les obligations c du jeune duc. Dans cérémonielles et militaires du jeune duc. Dans ces dernières, de petite taille, Jean s’entêtait à affronter plus fort et plus habile que lui. François II louait cet acharnement mais redoutait que les passions de son fils le poussent à l’intransigeance, notamment envers son demi-frère François d’Avaugour. François, Bâtard de Bretagne, avait poursuivi son entraînement militaire auprès de la confrérie. Relégué à Clisson depuis le début de son adolescence, il suivait un enseignement militaire qui allait devenir la base de la formation des officiers des bandes. Latin, Français, Breton n’étaient qu’abordés tandis que mathématiques, fortifications et arts mécaniques étaient au programme. François II comptait faire de son bâtard un des bras armés du duché, le premier ingénieur militaire non italien. Mais, en ce printemps 1476, François d’Avaugour qui avait espéré participer aux réjouissances du mariage Bourbon-Valois, apprit qu’il devait s’embarquer pour l’Irlande. Le duc voulait qu’il y reçoive son baptême du feu sous la direction d’hommes de guerre expérimentés et exemplaires comme les Tudors. Pour faciliter les choses, il lui offrit un nouvel équipement et déclara qu’une bonne épée était forgée aussi dans le sang. François II ne lui confia pas qu’il préférait le savoir loin de la France et de son machiavélique et très fortuné roi qui aurait pu allumer quelques ambitions désastreuses dans l’esprit d’un jeune bâtard influençable. Le roi en question ne débordait pas de joie en ce printemps. Les nouvelles de l’est étaient bonnes mais la venue de Jean de Rohan à Plessis les Tours avait gâché la fin du carême et les fêtes de pâques. Le duc de Bretagne l’avait envoyé renégocier les contrats des bandes. Leur compétence reconnue faisait des mercenaires bretons des hommes recherchés. Louis XI leur faisait autant confiance qu’aux suisses et les considérait bien plus solide que ses francs-archers. Mais, à partir du mercredi des cendres, il avait découvert un nouvel aspect des Bretons. Ils étaient durs en affaire. Vantant les réussites des bandes, des corsaires, de la flotte du Ponant et la fidélité du duc de Bretagne, Jean de Rohan négocia le plus âprement qu’il put les nouveaux engagements. Le Roi tenta d’abord de l’acheter en faisant allusion à des titres prestigieux, à des pensions mirifiques ou à des sommes faramineuses. Mais Rohan refusa. Quand Louis passa aux menaces voilées, le vicomte ne fit qu’exprimer, en souriant, son espoir de passer de longues semaines dans ses fiefs, tous hors du royaume de France à attendre la naissance de son deuxième enfant et à régler ses propres affaires. Les instructions du Duc étaient claires. D’une manière ou d’une autre, le roi devait payer toutes les promesses non tenues depuis 1473. Jean devait prendre son temps et récolter au passage un maximum d’informations sur la cour de France. Si certaines vieilles familles le traitaient en privé de maquignon pour sa rapacité commerciale, la réputation de sa famille, ses moyens financiers et son excentricité lui ouvrirent les portes de la noblesse française. Il débuta ainsi une série de correspondances avec des seigneurs d’ile de France, du Maine, de Provence, d’Anjou et d’Auvergne. S’appuyant sur ces sources d’information ainsi que sur la présence de Michel Landais à Lyon, Jean de Rohan envoya chaque semaine, jusqu’à l’été, un courrier en Bretagne. Il y donnait instructions commerciales, conseils de gestion de fiefs et fermes ordres de repos à sa femme. François II, son beau-frère, y lisait, lui, l’état des finances royales, de l’armée française, des factions à la cour de France et l’évolution de la guerre en Bourgogne.. Ainsi, début juin, Jean de Rohan fut le premier à apprendre la chute de Nancy. La garnison bourguignonne n’ayant pas été payée depuis des lustres, se rendit à Renée de Lorraine qui les assiégeait mollement. Louis XI s’en réjouit et décida de profiter de l’occasion. Il accepta les exigences de Jean de Rohan. Louis paya le double pour recruter les bandes. Il voulait absolument des troupes aguerries pour encadrer les piétons français. Lourdement escortée, une caravane achemina l’or français à Nantes. Rohan était encore à la cour de France lorsqu’arriva la St Jean. Dans un très rare accès de sincérité, Louis XI lui demanda ce qu’il désirait pour devenir son homme. Le vicomte lui répondit qu’aucun roi de France ne voudrait lui accorder ce qu’il avait obtenu du duc. Le roi en resta coi.
Banquet au XVè siècle.