samedi 27 juillet 2013

1475.Ep4. Turning Point en Helvétie.


Représentation de la Bataille de Morat du 19 septembre 1475 par D.Schilling. le jeune.
Après la défaite de Grandson, Charles Le Téméraire ne renonça pas à donner une leçon aux Suisses. Il passa l’été à rassembler des troupes et de l’argent à Lausanne. Attirés par sa richesse et par son prestige à peine écorné, les mercenaires complétèrent les débris de l’armée bourguignonne qui atteignit lors de la revue du 15 aout, 12000 combattants. Cet ost se composait d’environ 2000 cavaliers lourds, de 5000 archers montés et de 4000 fantassins. L’objectif de Charles était de mettre définitivement à genou les Bernois. Canton le plus agressif de la confédération helvétique, Berne avait placé une garnison importante dans la cité de Morat et avait renforcé cette ville fortifiée des canons pris à Gandson. Aldrian Von Bubenberg commandait la cité et contrôlait la route de Lausanne à Berne. Habile capitaine, il savait que le Téméraire devait prendre Morat s’il voulait s’attaquer à Berne. Charles ne pouvait laisser derrière lui une forte garnison capable de couper ses communications avec la Franche-Comté. A Berne, Renée II de Lorraine et les Bernois faisaient pression sur les autres cantons pour obtenir des hommes et des fonds pour la guerre. Ces négociations trainèrent et ne se finalisèrent que lorsque Charles assiégea Morat le 4 septembre. En raison de leurs faiblesses financières, les Suisses ne pouvaient mobiliser leur armée que pendant un temps très court et devaient frapper vite et fort pour obtenir une décision rapide. L’ost Suisse se rassembla à Berne le 17 septembre tandis que les Bretons de Pierre du Pont-L’Abbé surveillaient les abords du camp bourguignon.

A Morat, Charles le Téméraire menait hardiment le siège de la cité. En raison du caractère lacustre de la ville, Adrian Von Bubenberg réussit à maintenir des liaisons constantes avec Berne et connaissait les préparatifs de l’armée suisse. Avec son artillerie, il obligea les Bourguignons à ne réaliser leurs travaux de siège que de nuit. Ceux-ci prirent donc un retard certain. Pour se protéger d’un retour offensif des Suisses, le téméraire établit une position fortifiée nommée la Haye Verte composé d’une palissade et d’un fossé. L’ost bourguignon devait l’utiliser pour se rassembler en toute sécurité puis contre-attaquer les carrés suisses qui s’aventureraient à tenter de relever la cité de Morat. Mais cette position ne servit à rien. Le 19 septembre, elle n’était que faiblement défendue par l’artillerie du duc, une compagnie d’ordonnance et une bande d’archers bourguignons. Les confédérés prirent les défenseurs par surprise. Les artilleurs du Téméraire réagirent vertement et bombardèrent les carrés helvétiques qui essuyèrent des pertes. L’avant-garde suisse marqua le pas et la compagnie d’ordonnance charge pour permettre aux canonniers de recharger. Mais René II de Lorraine intervint avec ses cavaliers lourds. Repoussés, les chevaliers bourguignons durent se replier derrière la palissade. Les Suisses reprirent leur avance soutenus par la cavalerie légère de Pierre du Pont-L’Abbé qui avait contourné au sud la position fortifiée. Les Hélvétiques franchirent la palissade délogeant piétons, artilleurs et cavaliers de leur position favorable. Alors, ils déferlèrent sur les camps bourguignons à l’ouest de la cité. Celui des mercenaires italiens fut submergé le premier. Puis, les Suisses foncèrent sur le quartier général et obligèrent le duc à se retirer. La retraite du duc et la sortie de la garnison de Morat sonna le glas de l’armée bourguignonne. La panique s’empara des piétons bourguignons retranchés à Meyriez, dernier objectif des Suisses sur la rive du lac de Morat. Lorsque les carrés écrasèrent la garde ducale et les archers anglais, la retraite devint déroute et les cavaliers légers de Bretagne se jetèrent sur les restes de la gendarmerie du duché qui se fit décimer pour protéger la fuite du Téméraire.Si l’ost bourguignon avait réussit à fuir le champ de bataille de Grandson, la situation à Morat fut tout autre. Les Bourguignons étaient encerclés entre les carrés suisses, la cité et le lac. Nombre d’entre eux tentèrent de traverser mais se noyèrent. Enfin, les Suisses ne firent aucun quartier et massacrèrent les restes de l’ost bourguignon. Aujourd’hui, les historiens estiment les pertes du Téméraire à 10000 hommes tandis que celles des Suisses et de leurs alliés ne s’élevèrent qu’à six cents hommes. Si cette victoire consacra la prédominance des piquiers et confirma la solidarité naissante entre les cantons où émergeait une identité commune, elle rejetait définitivement les Bourguignons hors du pays de Vaud, libérait l’accès à Lyon et au sel de Franche-Comté. Enfin, elle permettait aux Suisses d’obtenir une trêve avec la Savoie. A l’inverse, pour Charles, c’était une catastrophe. Argent, réputation et armée avaient cette fois disparus et seraient difficilement remplaçables. Si Grandson était apparu comme un accident dans de nombreuses cours d’Europe, Morat détruisit la puissance diplomatique de Charles déjà fragilisée par son arrogance et ses ambitions. Passant à Lausanne le 21 septembre, Charles le Téméraire fila vers ses domaines bourguignons sans se retourner. Le 22 septembre, la Haute-Alsace se révoltait de nouveau. Le 25 septembre, un contingent de Bernois et la Bande de Pierre de Pont-L’Abbé franchirent le Rhin à Bâle puis s’aventurèrent en Franche-Comté.

 

vendredi 5 juillet 2013

1475.Ep3. Grandson. De la Parade au désastre.

Chapeau ducal du Téméraire récupéré dans le butin et exposé au musée de Grandson. Photo de momox de Morteau.
Pour renforcer son autorité, Charles passa le printemps à parader dans les villes alsaciennes avec la moitié de son armée tandis que l’autre se rassemblait à Lausanne après son passage en Lorraine. Dans chaque ville qu'il traversa, le téméraire déploya ses richesses et sa puissance. Joyaux, perles, vêtements de brocard, vaisselles d'or côtoyaient bombardes gigantesques, couleuvrines imposantes, bandes de mercenaires bigarrés d'Italie et archers redoutés d'Angleterre. Ils étaient précédés des gendarmes d'ordonnance de Bourgogne, rutilants du froid métal de la guerre et juchés sur de redoutables destriers cuirassés de fer. Vêtu d'une armure à liseré d'or et d'un chapeau recouvert du plus noble des métaux, Charles le Téméraire menait ce défilé de bannières et d' étendards qui rappela aux Alsaciens qu'ils n'étaient qu'une puissance minuscule face à celui qui s' auto-proclamait Grand Duc d'Occident. Charles obtint calme et obéissance des villes du Rhin qui lui fournirent suffisamment de ravitaillement pour aller faire la guerre en Suisse. Il les frappa tout de même d'une amende de 50000 livres. Les acclamations avaient été moins nombreuses que les regards de peur et les volets clos.

L'ost de Bourgogne n’arriva à Grandson que le 12 mai et demanda la reddition de la garnison. Celle-ci résista mais fut prise d’assaut le lendemain. Charles fit pendre les survivants à cause de leur obstination imbécile. A Neuchâtel, les forces des cantons suisses étaient prêtes et décidèrent de le surprendre pendant ce qu'ils croyaient être un siège. Agissant comme éclaireurs, les troupes montées de Pierre du Pont L’Abbé arrivèrent sur le mont Aubert qui supplante le château de Grandson, le 13 au soir. Les cavaliers bretons étaient séparés en deux groupes, une de lanciers légers et une d’arbalétriers montés. Pierre du Pont-L'abbé fit prévenir les forces des cantons que le camp bourguignon n’avait posté que des sentinelles pour surveiller l'accès nord, le long du lac de Neuchâtel. Les discussions entre les chefs suisses prirent toute la soirée mais les Bernois réussirent à convaincre les autres cantons de s’attaquer aux Bourguignons. Le 14 mai, les piquiers suisses s’avancèrent vers la ville. Mais la situation avait changé. Charles de Bourgogne avait posté son armée pour défendre l’accès nord-est à Grandson. Près de la rive, son artillerie couvrait la route du lac tandis que ses piétons et sa cavalerie étaient en embuscade formant un fer à cheval de la rive aux forêts des pentes abruptes du mont Aubert. En avant d’une ligne garnie de pieux défendant les hommes à pied, Charles avait posté sa cavalerie tout en laissant des intervalles par lesquels artillerie et archers pouvaient arroser les assaillants. En début de matinée, Pierre de Pont-l’Abbé vit tout cela et prévint les Suisses des nouvelles dispositions de l’ost bourguignon. Les Bernois qui formaient l’avant-garde décidèrent de pousser l’assaut car ils avaient peur de voir les autres cantons refuser de poursuivre les combats. Confiants dans leur formation en carré et dans leur agressivité, les Suisses chargèrent sous une pluie de missiles. Le carré se révélait une formidable cible pour l’artillerie et les archers bourguignons. L’assaut tourna court mais l’alternance de charges et de tirs n’entama pas la résolution des Bernois qui restèrent sur le champ de bataille. Lorsque le corps principal des Suisses arriva, les Helvétiques et les Bourguignons réitérèrent les mêmes tactiques qui aboutirent au même résultat. Se regroupant, les Helvétiques formèrent peu à peu un énorme carré résistant aux charges et aux tirs de l’ost bourguignon. Mais l’assaut était arrêté et les pertes s'élevaient rapidement quand, d'un coup, le flanc gauche de l’armée bourguignonne s’écroula. Les archers et les hommes d’armes à pied s'enfuirent. Derrière les pieux plantés par les Bourguignons apparut l’étendard à la croix noire et les lanciers de Pierre du Pont-L'abbé. Un groupe de 500 arbalétriers demonta et arrosa de carreaux les chevaliers de Charles alors qu’ils se portaient à la rescousse de leur infanterie. Pieux et missiles firent le nécessaire et les cavaliers bourguignons durent se replier derrière le centre de la ligne du Temeraire. Ce répit permit aux Helvètes de reprendre l’initiative, d’enfoncer le flanc droit et de capturer l'artillerie de Charles alors que le centre résistait furieusement grâce aux Compagnies d'ordonnance du Duc. Celui-ci rassembla alors les restes de sa cavalerie et tenta une dernière charge sur le carré des cantons. Harcelés par les arbalétriers bretons sur leur flanc et repoussés par les piquiers, les gendarmes ne purent percer et refluerent en désordre sur le centre affaibli. A ce moment-là, sonnant de tous ses cors de guerre, l’arrière-garde suisse déboucha sur la plaine. S'il renforça le courage helvète, ce hurlement sauvage remplit d'effroi les Bourguignons qui craquèrent enfin et s’enfuirent vers l'ouest. Partageant ses troupes en deux, Pierre de Pont-L’Abbé engagea ses lanciers qui firent un massacre des piétons de bourgogne tandis que ses arbalétriers montés devançant les Suisses s’emparèrent du campement de Charles. Pierre et ses 600 hommes s'approprierent les bagages du Duc laissant le reste à l’ost suisse épuisée.
 



La fuite du Téméraire par Eugène Burmand.



Le butin fut colossal. Les pertes l’étaient aussi. 4000 Suisses sur environ 20000 étaient étendus sur le champ de bataille tandis que 3000 Bourguignons ne se présentèrent pas au rassemblement de l’ost à Lausanne. Charles avait perdu l’ensemble de son artillerie mais aussi les symboles de sa richesse et de sa puissance. Joyaux, vêtements de parade, tapisseries, vaisselles de prix et trésor de guerre restèrent entre les mains des Helvétiques et des Bretons. A Lausanne, enragé et humilié, Charles Le Téméraire rassembla ses troupes désorganisées, appela celles stationnant en Alsace et prépara furieusement une seconde offensive. Il n'allait pas se laisser faire.

 

jeudi 4 juillet 2013

1475. Ep2. Diplomatie méditerranéenne.

Armoirie de l'Emirat de Grenade.

Lorsque Quelennec le Jeune fit escale à Lisbonne en juillet, il commençait à être pleinement satisfait de son escadron qui se comportait enfin en marin. Il déposa les diplomates à destination de la cour du Portugal. Un agent de Rohan prit contact avec lui et l’informa de la situation dans la péninsule ibérique. La Castille était en guerre contre le Portugal. Alphonse du Portugal n’acceptait pas qu’Isabelle de Castille devienne l’héritière du royaume de Tolède car elle était fiancée à Ferdinand, l'héritier d’Aragon. Le roi n’étant pas présent, le jeune vice-amiral décida de laisser les diplomates bretons puis de mettre les voiles pour Valence où il débarquerait les ambassades pour l’Aragon et pour Rome. Il passa le détroit de Gibraltar et profitant des vents océaniques, il remonta le long de la côte andalouse. A la hauteur d’Almeira, il reçut une visite inattendue. Un chébec se présenta devant la flotte bretonne et demanda une négociation avec les représentants du duché de Bretagne. Pendant deux jours, les représentants du Duc discutèrent avec ceux de l’Emir. Les Andalous offraient un accès complet à leurs marchés mais demandaient aux Bretons de leur vendre armes, poudre et canons. Quelennec le jeune répondit qu’aucun des représentants du duc ne pouvaient prendre une telle décision mais qu’il était d’accord pour emmener un petit groupe de Grenadins à Nantes. L’Emir devait bien prendre en compte qu’il n’aurait sa réponse qu’au printemps prochain. Le 15 aout, l’escadron de Port-François entrait à Valence. Quelennec le Jeune déposa les ambassadeurs de Bretagne puis fila vers l’Atlantique avec à son bord trois représentants musulmans.
Les diplomates en Castille et au Portugal ne réussirent qu’à renouveler les accords commerciaux des années précédentes. Ils désappointèrent Alphonse du Portugal quand ils lui annoncèrent qu’aucune des bandes n’étaient libres. Pourtant, il passa commande d'un certain nombre d'articles militaires que son pays ne pouvait produire en quantités suffisantes : poudre et éléments d'armures. Les deux délégations rentrèrent dés l’automne en Bretagne. A Rome, au contraire, les négociations furent longues mais fructueuses. En effet, les ambassadeurs bretons apportaient un message du légat du Pape en France. Celui-ci recommandait à sa sainteté Sixte IV de reconnaitre le pouvoir de Henry Tudor en Irlande et d’élever l’évêché de Vannes au statut d’archevêché. Ce nouvel archevêché aurait juridiction sur l’ensemble des terres du duché de Bretagne. Sixte IV décida de ne plus faire la sourde oreille et il présenta le projet à l‘administration vaticane. Cet archevêché permettrait de désolidariser les évêchés bretons de la France et donc des éléments les plus gallicans de l’église française. En ce qui concerne l’Irlande, le pape ne souffla mot.
Le Duc mit tout de suite son veto. Il n’allait pas recevoir les Grenadins. François II confia à son beau-frère Jean les demandes du Roi du Portugal en poudre et en armes. Et, devant lui, il souligna que le duché ne pouvait s’opposer à ce que des marchands indépendants entreprennent de vendre des armes aux musulmans. Jean comprit parfaitement le message. Rachetant des vieux stocks de l'ost breton, Rohan rassembla les marchandises rapidement. Profitant d'un beau mois de décembre, cinq navires de Rohan partirent vers le sud, officiellement à destination de Lisbonne. Ils avaient pour instruction de troquer armes et poudre contre sucre ou épices. Or Grenade était le terminus des routes musulmanes du commerce de ces denrées.
 
Carte de l'Emirat de Grenade en 1475